Après “Le roi se meurt” et “La traversée”, deux spectacles aux rythmes et sujets maîtrisés, nous finissons notre découverte de ces “Cartes Blanches” de l’école du jeu avec une troisième et dernière pièce, qui dans le fond rejoins notre première pièce par Rémi Grandville, mais qui dans la forme nous propose une expérience aux note bien plus sinistres et envoûtantes.
Les aveugles de Maurice Maeterlinck mis en scène par Clara Koskas
“Un groupe d’aveugles se retrouve perdu sans leur guide, le seul voyant qui devait les ramener à l’hospice. Abandonnés, ils attendent inexorablement son retour dans une forêt aux signes étrangement inquiétants.. Cette pièce intemporelle questionne la place de l’Homme dans l’univers, ses douleurs et son enfermement, son rapport à la Mort.”
Dans Les Aveugles, le décor est posé très précisément : dans une forêt, un prêtre, mort, se trouve vers le fond de la scène, adossé à un arbre. Un peu plus en avant sont assis des aveugles, tous séparés les uns des autres sur des souches d’arbres ou à même le sol.
Les personnages ne dialoguent totalement, du moins pas tout le temps. Ils ne s’écoutent pas forcément, et se parlent beaucoup à eux-mêmes. Les dialogues reflètent l’intériorité des personnages, et la montée d’une angoisse due à leur situation pénible. Car si nous, nous savons que le prêtre est mort, eux ne le savent pas. Pas d’action, mais une attente qui semble interminable de toutes ces personnes aveugles, dont on va apprendre qu’elles vivent dans un hospice, que le prêtre qui s’occupe d’eux les a emmenés en « promenade », dans une forêt inconnue, puis les a laissés seuls, sous un prétexte peu clair ; peut-être pour aller chercher de quoi se nourrir, peut-être pour aller voir une île qu’il n’a encore jamais pu voir.
On est donc face à un groupe d’aveugles, perdu, en attente d’un guide qui ne reviendra jamais. Les comédiens sont positionnés de telle façon à créer un tableau d’une beauté tragique et angoissante sublime. Sous fonds de fortes respirations par les “vieilles aveugles du fond”, une angoisse indescriptible atteint de suite le spectateur. Nous sommes ici clairement confronté à une pièce d’ambiance. Le décor en sous-sol construit souligne avec maestria: du lierre au mur, de la terre partout au sol, des souches et bûches intelligemment dispersées comme sièges à nos comédiens. En son centre, ce personnage sans yeux vêtue d’une robe rouge. Pour appuyer le tout, un travail du son accompagne la mise en scène, le bruit du vent u encore des marées au loin, les cloches de l’hospice à peine audibles, des gongs pesants réguliers, un coassement de corbeaux, ou bien encore une litanie continue interprété par nos deux vieilles aveugles tout au long de la pièce nourris une ambiance d’effrois et de tension constante. Une pièce mettant en scène des aveugles se devait d’avoir un travail du son appuyé et force est de constaté que le travail a été plus que bien fait!
La pièce avance au gré des peurs et des frustrations des comédiens. S’en dégage une lenteur hypnotisante appuyée par des gestes, des déplacements ou encore des silences parfaitement calculés pour appuyer la folie montante de nos personnages quant à l’horreur de leur situation.
“Nous avons basé notre travail sur une approche métaphysique proche du butô, cette « danse de l’obscur » qui donne à voir les douleurs muettes de l’Homme, réveille les forces cachées tapies dans les profondeurs de l’âme humaine et fait mouvoir le corps par le passé. Dans cette « danse des ténèbres » c’est la vie toujours compulsive, qui surgit de la mort et non pas le contraire. Ces aveugles comme des demi-morts, « voient » leurs corps animés par le joug de la Fatalité.”
Clara Koskas.
Cette folie atteint son paroxysme quand, suite à la découverte du corps du prêtre par inadvertance, l’ensemble de ces aveugles reposent leurs espoirs sur un pauvre nouveau né sous prétexte que celui-ci possède la vue pour les guider vers leur salut.
Choix de mise en scène personnelle, le prêtre ainsi que le nourrisson se présentent sous la forme de pantin / marionnette. Edward Gordon Craig, scénographe du 20ème siècle et référence pour Clara nous expliquais durant sa vie que la marionnette est ainsi un moyen de communiquer avec l’au-delà. Il n’en fallait pas plus à Clara, qui décide ainsi de transformer deux personnages centraux quant à l’histoire. Elle nous présente ainsi deux guides inanimés, questionnant ainsi le spectateur: qui est le plus vivant, ces aveugles en attente d’un destin inéluctable ou les pantins prenant vie par la manipulation? En poussant plus loin, peut-on considérer un acteur comme une marionnette au service d’un récit fantastique? Nombreuses questions peuvent ainsi être trouvées mettant en abîmes le travail de ces jeunes comédiens. Clara me confie d’ailleurs une citation qui l’as aidée dans l’écriture de sa pièce:
« Leur premier but est, comme chacun sait, d’attirer et de tromper le spectateur qui les croit vivantes. Le second, plus perfide, est de créer un sentiment d’inertie et de mort qui change perpétuellement la vie. Le troisième (inaccessible): tromper encore une fois le public, le surprendre et l’effrayer par cette possibilité inhumaine de passer de l’état de mort à l’état de vie”.
Tadeusz Kantor
La pièce se termine d’ailleurs sur l’ensemble de nos aveugles de dos, présentant le nouveau né tel le sauveur universel pour les guider vers les bruits de pas que tous entendent sans obtenir de réponses, alors que le personnage de l’aveugle sans yeux vêtue de rouge nous livre au premier plan une longue litanie en grec effrayante appuyé par un jeu de comédien d’une puissance rare!
Effrois, peur, folies, les sujets traités sont pesants et lourds. Il fallait une mise en scène capable de faire plonger le spectateur dans l’univers de ces aveugles. De pouvoir leur faire ressentir ce que ces pauvres âmes égarées pouvaient bien ressentir dans une telle situation, l’objectif est pleinement accomplis. Etant difficile de présenter les rôles individuellement (vieil aveugle, jeune aveugle, aveugles sourd ect …) voici la liste des comédiens ayant participé à cette pièce avec une mention spéciale pour l’aveugle sans yeux vêtue de rouge Martin Pénélope :
Ballier suzanne / Chatain grégoire / de Fouchécour Albertine / Hernandez Léo / Glasel Tristan / Nigris Angélique / Rumani Diane / Martin Pénélope
Le décors est ici signé pas Théo Bertolotti supervisé par Clara Koskas. Les costumes sont de leur côté confectionnés par Emmanuelle Bertolotti et Chloé Bussat, et enfin on soulignera particulièrement la conception sonore dirigée par Philippe Caudront de Coquereamont.
Retrouvez les sur instagram: @les.aveugles
Contact direct: koskas.clara@gmail.com
Voilà qui conclut notre article sur 3 des 10 pièces qui composent ces “Cartes Blanches” 2021 de l’école du jeu. Que ce soit pour l’écriture, l’adaptation, la mise en scène ou bien l’interprétation, force est de constater qu’un travail immense a été accompli porté par la directrice de l’école du Jeu Delphine Eliet. Énormément de talent se dégage de ces différentes pièces. Comédie dramatique, comique, ambiance, chants, danse, chacun y trouvera son bonheur. N’hésitez pas à les contacter tous individuellement pour pouvoir assister à leurs prochaines représentations, à suivre leurs différents comptes instagram, ou bien à vous lancer dans l’aventure qu’est l’école du jeu si la comédie vous as toujours fait de l’œil, vous ne serez pas déçus!